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04.01. Babel - Chapitre IV (1/4)
lundi 3 septembre 2007, par
Chapitre IV
Alain entra lentement dans le bureau et referma avec précautions la porte derrière lui. Il resta près de l’huis, ne sachant trop que dire ni que faire. Malgré ce qu’il venait de dire, il regrettait amèrement de ne pas avoir changé de tenue.
Il regarda son chef, penché sur son bureau, en train d’écrire, qui, sans même lever les yeux, lui jeta un bref :
— Asseyez-vous, Montfranc.
Alain obéit et resta coi. Le patron releva la tête et posa son stylo sur la table comme s’il s’agissait d’un objet plus que fragile.
Il joignit les mains devant sa bouche, les pouces sous le menton et resta un moment à regarder Alain. Puis il reprit la parole :
— Alors, Montfranc ? Vous êtes content de vous ?
— Je…
— Non seulement vous n’obéissez pas aux ordres qu’on vous donne mais en plus vous vous faites foutre en taule ! Encore bravo ! Grâce à vous le commissariat du quatorzième est la risée de tous les flics de Paris. Espérons que les journalistes n’auront pas vent de l’affaire, sinon…
Il resta un instant silencieux, puis :
— Alors comme ça vous êtes pris d’une envie soudaine de visiter le sous-sol de Paris ?
— Je peux me justifier !
— Allez-y. Je suis curieux d’entendre votre version des faits.
— Je ne suis pas d’accord avec l’explication du meurtre d’hier soir telle que vous me l’avez donnée. Il est matériellement impossible à un individu embusqué dans un tunnel de RER de tuer quelqu’un choisi à l’avance. Les trains roulent trop vite : on n’a absolument pas le temps de reconnaître le conducteur…
— Sauf si le meurtrier connaissait les horaires des trains…
— Parce que vous avez déjà vu les RER respecter les horaires aux heures de pointes ?
— Bon, admettons que vous ayez raison.
— Donc l’hypothèse du crime passionnel ne peut être retenue.
— Si vous voulez, mais cela n’explique toujours pas…
— J’y arrive, l’interrompit Alain. Le meurtrier a donc choisi une victime au hasard. Il y a, à ce stade, deux hypothèses plausibles : soit il s’agit d’un déséquilibré, soit le conducteur a vu quelque chose qu’il n’aurait pas dû voir. Lorsque je suis retourné sur les lieux du crime ce matin, j’ai constaté que des ouvriers avaient construit un mur pendant la nuit. J’ai pensé qu’il y avait peut-être un passage derrière…
— Parce que vous y êtes retourné ce matin ?
— Oui, en voyant les ouvriers au travail, j’ai eu peur d’avoir détruit un appareil important.
— Ce doute est tout à votre honneur. Mais revenons à votre histoire…
— J’ai songé que l’homme avait pu arriver par ce passage. De plus le bas de son corps était trempé, ce qui renforce cette hypothèse puisqu’il y a souvent de l’eau dans les anciennes carrières de Paris. Je me suis donc procuré un plan de ces carrières et j’ai constaté qu’il y avait une galerie qui passait à cet endroit exact… J’ai voulu aller me rendre compte par moi-même et j’ai bien trouvé un passage. Il m’a été possible de suivre un moment les traces du meurtrier mais une injection de béton m’a obligé à battre en retraite. Vous connaissez la suite.
— Je la connais, on me l’a racontée… Brillantes déductions. Mais déductions qu’on ne vous avait pas demandées de faire et qu’on vous avait même demandé de ne pas faire… Vous êtes vraiment d’une curiosité sans limite ! J’ai eu un chat comme vous. Il ne pouvait s’empêcher d’aller fouiller partout, surtout là où on lui interdisait d’aller. Jusqu’au jour où il a été trop près de la piscine de mon voisin. Il aurait pu se noyer mais il a eu de la chance. Depuis, il reste sage. Dois-je vous noyer, Montfranc ?
Alain détestait ce genre de comptine tout juste bonne pour des enfants en bas âge et se retint à grand peine de hausser les épaules :
— Seulement me jeter à l’eau, peut-être, répondit-il.
— En haut lieu, on préférerait la noyade… Ils n’ont pas cessé de me poser des questions sur vous depuis hier soir. Ils savent parfaitement quel type d’homme vous êtes et ils ne tiennent vraiment pas à vous voir vous mêler de cette affaire. Ils étaient même prêts à vous foutre dehors pour vous en empêcher. Heureusement j’ai pu intercéder en votre faveur : vous n’êtes pas viré, vous écopez juste de trois jours de mise à pied. Vous avez beaucoup de chance, Montfranc, mais ne jouez pas trop avec elle.
— Je sais, mais…
— Dominez-vous, bon dieu, tonna le chef. Si vous n’êtes pas capable d’avoir un peu de self-control, changez de métier ! Bon, profitez de ces quelques jours pour faire le point. Voyons, nous sommes mercredi… Vous étiez de service ce week-end ?
— Non.
— Donc trois jours de suspension, ça fait jeudi vendredi et lundi : vous êtes donc en vacances forcées jusqu’à mardi matin.
Alain resta silencieux. Son patron reprit :
— Ce sera tout Montfranc… Vous pouvez disposer ! Allez-vous changer et rentrez chez vous.
Alain se souvint tout à coup de l’état de la tenue qu’il portait. Il se releva brusquement et constata que la chaise où il s’était assis était maculée de particules de ciment. Il commença à la frotter, dans l’espoir de réparer les dégâts.
— Laissez tomber, Montfranc. Débarrassez-moi le plancher !
Alain s’exécuta en silence et quitta tête basse le bureau. Il passa prendre ses affaires et se dirigea vers les douches. Là, il rinça sommairement le matériel qui lui avait été confié. Il se nettoya et se changea puis repartit à l’équipement pour rendre ce qu’il y avait emprunté.
Il eut évidemment droit à de nouvelles remarques sur son manque de soin évident envers ce qui ne lui appartenait pas ainsi que quelques piques sur le genre de mutation qu’il pouvait à présent espérer : surveillance des égouts, filature des eaux usées et autres moqueries du même style. Un autre jour il aurait répliqué, mais, cette fois-ci, il ne répondit rien, encore abattu par sa conversation avec son chef…
Il retourna dans son bureau, où il remit sa veste. Il vérifia machinalement que ses papiers s’y trouvaient bien, puis, revenant vers sa table de travail, il jeta un coup d’œil aux cartes qui y étaient restées étalées, et décida de les emporter. Après tout, elles étaient à lui et pourraient lui servir à décorer un mur.
Il regagna son appartement et s’affala dans le canapé. Il ne savait que faire : il avait devant lui cinq jours vides qu’il ne savait pas comment occuper…
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